INTERVIEW Le Moniteur
Marseille, 13 novembre 2020
Stanislas Zakarian
Associé depuis 2009 de l’agence marseillaise Zakarian-Navelet Architectes, Stanislas Zakarian enseigne également à l’Ecole nationale supérieure d’architecture du Montpellier (Ensam)-La Réunion en tant que maître de conférences avec comme sujet d’études le projet territorial et urbain traité à travers les notions de la transformation du sol et de l’articulation des échelles. Cette expertise et l’expérience du premier confinement l’ont conduit à formaliser une pensée autour de la régionalisation d’une partie des normes de l’habitat.
Au lendemain du premier confinement, et alors que nous vivons le second, la manière de penser l’habitat a-t-elle évolué, selon vous ?
On s’est dit qu’il fallait tout changer, qu’on allait tout changer. Mais force est de constater que rien n’a bougé pour le moment. On saupoudre le logement d’aides à la rénovation énergétique et on continue de fabriquer des appartements rentables sur des parcelles étroites. Toutefois, je suis convaincu que l’électrochoc lié au premier confinement va produire à moyen terme des transformations notables sur la fabrication de l’habitat.
Si rien n’a encore bougé concrètement, que faudrait-il alors faire ?
Je ne pense pas que la solution soit de durcir les règles, bien qu’une redéfinition des surfaces habitables minimums soit souhaitable. Je pense, mais cela a déjà été dit, au transfert d’une partie de la surface du salon aux chambres pour les colocations et les familles recomposées. On pourrait aussi imposer selon les régions des surfaces extérieures minimums pour chaque logement. Il me semble surtout important de replacer le logement dans son environnement immédiat afin de l’adapter au cadre de vie local. C’est pourquoi, je crois que l’on devrait régionaliser une partie des normes de l’habitat.
« Une norme nationale ne peut pas répondre à toutes ces demandes à la fois »
Pourriez-vous préciser l’intérêt cette régionalisation ?
Le but est simplement d’intégrer les spécificités locales : climat, usages et savoir-faire. Et cela, pour que l’habitat redevienne ce qu’il fut : un lieu qui raconte les spécificités locales.
Prenons l’exemple de l’habitat méditerranéen et regardons les notions de seuil et d’ombre. Comme ailleurs, le seuil du rez-de-chaussée assure la séparation entre espace public-espace privé. Mais en Méditerranée, sa fonction première est surtout de protéger l’habitat contre une montée rapide des eaux consécutives aux violents épisodes pluvieux récurrents à l’automne. La recherche de l’ombre est une autre préoccupation. Elle exprime à la fois le besoin vital de lieux frais et la recherche de l’intimité. Dans ce contexte, les objectifs premiers ne sont pas d’atteindre 17 % de baies vitrées par surface habitable et ou limiter les déperditions de chaleur. Il s’agit plutôt de garantir une intimité, des lieux ventilés et une hygrométrie minimum à l’intérieur de chaque pièce. En Haute-Loire, où je me rends souvent, les besoins sont à l’exact inverse. Une norme nationale ne peut pas répondre à toutes ces demandes à la fois.
Quelle serait la première mesure à prendre pour régionaliser ?
Aidons immédiatement à la création d’une surface extérieure pour chaque logement ancien. Par exemple, on pourrait s’appuyer sur les aides à la rénovation énergétique des façades. A partir de cette mesure uniquement thermique, fabriquons une réponse architecturale incitative qui associe rénovation énergétique et ajout d’espaces extérieurs. Quand c’est possible, l’aide à la rénovation pourrait être bonifiée en cas d’adjonction d’un balcon lors des interventions en façade. C’est un magnifique sujet d’architecture. Il permet de traduire les particularités locales. En outre, la surface extérieure n’entre pas dans le mode de calcul des loyers basé sur la surface habitable intérieure. Et donc, elle n’alourdit pas les loyers ni n’augmente le prix du foncier. Les modalités réglementaires sont encore à imaginer. Mais comme cela s’inscrit dans les objectifs d’une construction durable, il me semble possible d’autoriser un dépassement de gabarit pour ce sujet ; hors évidemment des secteurs sensibles comme les Sites patrimoniaux remarquables.
Quoi qu’il en soit, nous devons bousculer le logement et ajouter des usages, afin que celui-ci reste une langue vivante pour tous.